Interview, Livre

Le Lierre et l’araignée, histoire poignante d’adolescents résistants en Alsace

A l’occasion de la sortie de son nouveau livre, Le Lierre et l’araignée, nous avons rencontré Grégoire Carle. Cette bande dessinée raconte l’histoire bouleversante de son grand-père qui à l’âge de 15 ans fait partie d’un groupe de résistants adolescents pendant la seconde guerre mondiale, La feuille de lierre.

L’araignée, la « Kreuzspinne », est l’un des noms que les Alsaciens donnaient à la croix gammée.
Pour ces ados, tout part de la découverte d’un stock de munitions abandonné par l’armée française. Après leurs actes héroïques de résistance, les garçons sont arrêtés par les Allemands, enfermés au camp de Schirmeck, affamés, battus, avant d’être enrôlés de force dans la Wehrmacht.
Ce livre qui a demandé 3 ans et demi de travail rend hommage à ces gamins de 1940 qui ont choisi de résister.

Que vous a raconté votre grand-père ?

Grégoire Carle : Quand j’étais enfant, nous allions ensemble pécher à la mouche. Il évoquait alors parfois quelques bribes de son adolescence. Ça me rendait curieux mais j’étais jeune, trop pour le questionner et être vraiment réceptif. Néanmoins, son histoire et celle de l’Alsace est en moi depuis longtemps. A l’âge de 23 ans, je me suis senti avoir la maturité nécessaire. Nous avons décidé qu’il me raconterait son histoire lors de notre prochaine rencontre. Mais subitement quelques semaines plus tard, il est décédé.

Comment avez-vous reconstitué son histoire qui est écrite à la première personne ?

Pendant 13 ans, j’ai vécu avec ce grand regret. Je m’en voulais beaucoup. A partir des confidences qu’il m’a faites, je me suis mis en quête d’éléments historiques pour recoller les morceaux. J’emprunte sa parole (ce qui n’est pas facile) car je suis parti de sa parole. C’est le socle à partir duquel j’ai reconstitué le reste des événements. Le récit se base aussi sur les archives privées des familles des membres de La feuille de lierre, des lettres notamment. Et sur les archives départementales. J’ai fait en sorte que ce soit une histoire intimiste qui fasse preuve de rigueur historique.

C’est aussi un livre avec de fortes résonances avec l’actualité

Faire un bond dans le passé, c’est aussi proposer une grille de lecture d’évènements contemporains. Dans mon livre on trouve certains termes qui font écho avec l’actualité, comme déboulonnage, remigration, décivilisation, sans parler des conflits fratricides qui ensanglantent l’Ukraine et le Proche-Orient… J’ai grandi dans les années 90, et je pouvais encore ressentir les scories de la guerre dans certains rapports de voisinage dans mon quartier. J’étais trop jeune pour comprendre, faire ce livre m’a aussi permis de lever quelques interrogations de mon enfance.

On lit aussi un message écologique

Mon grand-père me montrait la destruction de la forêt, cet écrin qui leur a permis de résister. J’écoutais ses descriptions idylliques alors que j’avais sous les yeux un endroit dévasté, les arbres malades, le Rhin réduit à un canal envasé. J’ai grandi avec le récit du paradis perdu d’un fleuve entouré de petits bras aux eaux transparentes traversant une forêt touffue. Ceux qui l’on connu parlent avec regret de ce paysage massacré.
Mais ce n’est pas tout. Le sous-sol alsacien est irrigué par un immense réservoir d’eau souterrain, la nappe phréatique du Rhin. En certains endroits de la plaine, il suffit de creuser un trou et l’on voit l’eau jaillir, c’est notre trésor commun.
Aujourd’hui l’état veut ensevelir définitivement 42000 tonnes de déchets toxiques dans d’anciennes mines de potasses sur le site de Stocamine. A terme, ces mines seront inondées et les déchets à base d’arsenic, de mercure et d’amiante rejoindront la nappe et rendront définitivement impropres à la consommation la plus grande réserve d’eau potable d’Europe. Il est urgent d’interpeler nos dirigeants politiques pour leur faire prendre conscience de la gravité de la situation et leur sommer de retirer rapidement ces déchets car les couloirs de la mine menacent de s’effondrer !