PFW, Fashion week de Paris : tout ce qu’il faut retenir

Anonymat, narcissisme, égocentrisme d’une génération perdue, recherche du profit à court terme, cynisme, surconsommation, diffusion d’infox et théories du complot… Certains créateurs dénoncent les travers de notre époque à travers leurs vêtements. Ils mettent aussi en avant des évolutions positives comme la remise en cause du genre et des discriminations, la mixité, les dialogues interculturels, les hommages à la nature. Et font le constat de la mondialisation.

Le regard cinglant de la mode sur notre époque

En regardant les défilés de la mode de cette saison, trois faits m’ont frappé : Le premier est le nombre de mannequins défilant visage caché, masqué, sous une cagoule, ou largement couvert avec foulard et bonnet laissant juste apparaître leurs yeux. C’était le cas chez Sulvam, Vêtements, Wooyoungmi, Andrea Crews, White Mountaineering, et même Louis Vuitton. Dans un article publié sur Vogue.fr, Eugénie Trochu, rapporte les propos de Demna Gvalia au sujet de sa collection pour la marque Vêtements, qui se veut notamment une dénonciation de dérives sur Internet. « Comme tout le monde, on trouve toujours l’inspiration sur Internet« , explique-t-il.

Le Web est un endroit où beaucoup d’Internautes se cachent derrière l’anonymat de pseudonymes, ce qui leur laisse croire qu’ils peuvent impunément injurier, insulter et inciter à la haine. La pièce forte du défilé est une parka avec un rabat qui couvre le visage, laissant apparaître la lumière d’un Smartphone, juste percé d’un trou pour prendre des photos. Dans ce défilé, l’un des mannequins porte un message en anglais : «  Attention, ce dont vous allez être témoin va vous perturber. L’humanité a un coté sombre que les censeurs ne vous laisseront pas voir, mais nous allons le faire. Regardez à vos risques et péril ». Complotisme ou dénonciation du complotisme ? Plutôt dénonciation du Darknet où tous les trafics jusqu’aux plus immondes sont possibles : « Nous avons accès seulement à 20% de la toile, il y a toute une partie que vous ne connaissez pas. C’est effrayant, on peut tout y acheter, des armes à feu, de la drogue, des gens… », explique Demna Gvalia à Vogue.

On voit dans ce défilé des vêtements recouverts de faux logos de multinationales, dont des organismes financiers et autres world companies de l’agroalimentaire. Un sweater orné d’un logo anarchiste à l’envers. Des doudounes ressemblant à des sacs de couchages, comme ceux dans lesquels dorment SDF et réfugiés. Ces slogans : « Corporate magazines still suck a lot ». « I survived Swine flu, so now I am vegan », j’ai survécu à la grippe porcine alors maintenant je suis vegan, un très ironique « Overpriced Hoodie » ou encore « Made in Europe », écrit sur un pantalon porté par un mannequin Africain.

La collection de Wooyoungmi s’intitule « A lost generation », une génération perdue, celle « qui a grandi dans un monde d’abondance centré sur le consommateur, avec une technologie qui satisfait les désirs instantanément. Désenchantée de la société dont elle a héritée, mais politiquement enchantée, utilisant la technologie pour exprimer ses peurs », indique le texte distribué lors du défilé. La collection rapproche la nouvelle génération, de celle des années 20, des années folles, qui a grandi pendant la guerre, mais a connu croissance économique, décadence, excès et hédonisme. Elle revisite les codes sartoriels des débuts du jazz. Par exemple, la veste à 3 boutons est modernisée avec une coupe ajustée, d’élégants cols hauts étirés dans des proportions rasantes au menton et un gilet de laine rétréci orné de slogans.

Mode androgyne, gender fluid et XXL

Deuxième fait qui m’a marqué : Dans beaucoup de défilés, les jeunes hommes aux cheveux longs étaient très largement majoritaires. Certains habillés de manière androgyne, voire avec des vêtements habituellement réservés aux femmes, dans des teintes très vives. C’était particulièrement le cas chez Angus Chiang. Comme de plus en plus souvent, les créateurs mêlent collections homme et femme avec alternance de mannequins des 2 sexes, il y a une volonté de confusion des genres. Parfois il est difficile de savoir à qui l’on a à faire. Je vois ça comme un pied de nez, ou une réaction aux réactionnaires hystériques dès que la question du genre est abordée, que l’on cherche à permettre à chacun de s’épanouir, de faire ce qu’il veut de sa vie, de s’habiller selon ses propres choix. Pour Thom Browne : « Des vêtements pour hommes qui ressemblent à ceux des femmes et pourquoi pas. C’est la taille qui compte. »

La troisième chose qui m’a frappé, c’est la taille XXL de certains vêtements. L’aspect gonflé, protecteur, carapace des blousons et manteaux, comme il y a 10 ans pendant la crise financière. Comme si de nouveau, nous avions besoin à outrance de nous protéger contre le monde extérieur et de paraître plus massifs.

Quelques mots sur d’autres défilés marquants, mode homme hiver 2019 :

Henrik Vibskov a présenté une collection qui interroge sur le rapport de l’homme et de la nature et sur l’agriculture, avec l’évocation de fleurs, fruits et champs à perte de vue. Elle est aussi largement inspirée du Japon avec beaucoup de kimonos. Mais aussi des vêtements patchwork, faits de l’assemblage de divers tissus et half half, avec à gauche et à droite 2 vêtements différents cousus ensembles.

Andrea Crews s’inspire de la mode de la rue des années 2000. Et oui, déjà un « années 2000 revival » ! avec pantalon cargo, tracksuit, trench avec des trompe l’œil, des décalages, mises en abîme et multiplications infinies, projection du signifié sur le signifiant. Du fluo vient sous forme de matière floquée, se greffer sur des matières classiques comme le tartan ou le prince de Galles.

Issey Miyake Men a voulu rendre hommage à la sensation de liberté et d’énergie que procure le vent. « Le mode de vie actuel devient de plus en plus minimal et léger, nous libérant de toutes les contraintes et nous permettant de sentir le vent », indique le brief du défilé. Diverses méthodes de teinture, tissage, et matières techniques ont permis de créer des vêtements qui tiennent chauds mais aérés. Une collection avec beaucoup de couleurs. Et de petits clins d’œil comme ces manches retroussées de couleur différentes cotés droit et gauche.

La collection de Sankuanz tourne autour des oppositions entre destruction et protection, attaque et défense, en inspirant des codes des tenues militaires et urbaines, habillées et décontractées pour créer des hybrides. Ces nouvelles pièces plongent dans un océan de références au monde marin tels des combinaisons de plongées, des baleines tueuses et des uniformes de navigateurs.

Angus Chiang a présenté sa collection dans un décor de marché aux fruits et légumes mêlant quantité de nourriture. Des légumes locaux et de saison comme des poireaux, ou pas du tout de saison comme les aubergines, d’autres exotiques en Europe. Le communiqué de presse commence par une phrase étonnante : « Nous sommes toujours entourés de ressources abondantes ». Dans un monde où l’on se rend compte au contraire du fait que les ressources sont limitées et que l’on consomme tout ce que la terre peut produire de renouvelable de plus en plus tôt dans l’année, cette phrase est surprenante. Le créateur pose la question de la déconnection des citadins d’avec la production agricole. Il s’est inspiré des vêtements de travail des agriculteurs, paysans, pêcheurs à Taïwan.

Amiri est l’un de mes défilés préférés de la saison, à l’esthétique très rock inspirée de la Californie et de Paris, avec des pantalons très ajustés. Une palette automnale. Les détails militaires abondent. Manteaux épais en cachemire à poil épais, vestes de trappeur en peau de mouton, tenues de bûcheron, tweed. Les vêtements sont faits pour être portés et donnent l’impression d’avoir déjà un peu vécu. Des tee-shirts à imprimés nostalgiques et des chemises teintées couleur boue se superposent sous des pulls et des cardigans dans des tricots à points tombants ou du cachemire.

Boris Bidjan Saberi reste fidèle à son style nomade, très masculin. Avec superposition de longs vêtements, tuniques, kimono, gilet, gros lainages, robes superposés. Les coloris sont des gris et noirs parfois colorés, verdis.

Beaucoup de cuirs et de peaux chez Hermès et un certain classicisme dans les coupes et couleurs. Beaucoup de bleus profonds, foncés. Du gris et en touches de couleurs : du bordeaux, du jaune curry essentiellement.

Pour Dior Homme, Kim Jones a créé une collection très parisienne puisant dans le patrimoine de la maison Dior, ses silhouettes, son savoir-faire, ses tissus, pour le revisiter : Imprimés animaliers, drapés, tailoring architectural, palette de couleurs douces, matières précieuses de la haute couture. L’esprit animalier prend d’abord la forme de l’imprimé panthère, si cher à Christian Dior, présent dès sa première collection en 1947. Il s’accompagne de motifs tigre et léopard, travaillés en maille et en fourrure Intarsia. La technique du moulage – ce savoir-faire haute couture qui travaille le drapé à même le corps – a inspiré la manière de concevoir certaines pièces. Le drapé est ici oblique et les pans se ferment par dessus les boutons.

Balmain : une collection qui démarre par une série de tenues de soirée noir et blanc satinées, avec des motifs pieds de coq, des matières empruntées à la haute couture, des créations half half, un somptueux travail de tailleur. Aucune couleur. L’avant dernier passage, avec ce slogan « Your truth is not mine », fait écho à ce que j’expliquais en début d’article. Mais quel en est le sens ? S’agit-il de post vérité ou du fait que chacun peut mener sa vie comme il l’entend ?

Thom Browne comme à son habitude fait une démonstration de savoir faire avec des vêtements pas vraiment destinés à être portés au quotidien mais nécessitant énormément de travail de tailleur. Il s’agit la plupart du temps de l’assemblage en une seule pièce de morceaux de vestes, gilets, et de plusieurs manteaux. Beaucoup de vêtements half half.

Louis Vuitton : Des costumes gris amples, du matelassage, des vêtements gonflés, doudounes ressemblants à des gilets de sauvetage, de longs manteaux noirs, des tenues métallisées, des feutrines, des drapeaux évoquant notre société globalisée, de longues jupes pour homme.

Je remercie toutes les marques qui m’ont envoyé les informations et photos nécessaires à la rédaction de cet article et surtout celles qui m’ont invité à leur défilé.