Madonna : « Ce que je fais est politique »

Madonna est une artiste engagée. Aujourd’hui, c’est évident pour tout le monde, mais ça n’a pas toujours été le cas. Longtemps elle a été perçue comme une chanteuse adeptes des provocations gratuites.

En 2003, j’ai écrit plusieurs articles sur ses actions et engagements politiques parus dans différents journaux, puis une longue enquête publiée en 2004 dans un numéro hors série d’Instant mag consacré à Madonna. Je profite de son passage à Paris pour le reproduire ici, ainsi qu’une enquête qui décrit et analyse ses concerts, The blond ambition world tour, The Girlie Show et The Drowned world tour.

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Madonna : « Ce que je fais est politique »

Tel Jean-Paul Sartres qui a écrit « Longtemps j’ai pris ma plume pour une épée », Madonna a fait de son œuvre artistique un instrument de combat politique.

« Je pense que tout le monde sera d’accord pour dire que Madonna est le personnage politique le plus important de la fin des années 80 et du début des années 90, et qu’elle a sauvé le monde occidental », écrit Guillaume Dustan en 2001 dans son Roman Génie Divin. « La victoire de Bill Clinton, c’est la victoire de Madonna », affirmait Daniel Cohn Bendit en ouvrant l’émission qu’il présentait sur Arte (en alternance avec Michel Pollac) au lendemain de l’élection du Président des Etats-Unis. Certains se sont peut-être demandés ce qu’il voulait dire par là. La star était très engagée contre la politique de Bush. Et la victoire de Bill Clinton fut, en effet, la victoire de ses idées.

Dès que Madonna est devenue une personne d’influence, elle a mis sa notoriété au service de la lutte contre les discriminations, le racisme, le sexisme et le Sida, et de la défense des libertés individuelles. Quand elle s’est sue écoutée, elle a multiplié les déclarations politiques, s’attirant souvent les foudres de ses détracteurs, manquant une mise en arrestation au Canada, provoquant l’appel au boycott du Vatican…

Photo publiée par Madonna sur son compte Instagram en septembre 2015
Photo publiée par Madonna sur son compte Instagram en septembre 2015

Battre Bush

En 2003, l’engagement de Madonna atteint son paroxysme et se transforme en lutte frontale contre la politique de George W Bush qu’elle juge « plus choquant qu’Eminem », avec l’album American Life. Alors que l’Amérique vient d’envahir l’Irak, jamais la presse américaine ne s’était autant déchaînée contre Madonna. Sur la pochette de l’album, elle apparaît coiffée d’un béret façon Che Guevara. Mais ce déchaînement est dû au clip de la chanson American Life réalisé par le Suédois Jonas Akerlund. Dans une Amérique qui n’accepte aucune voix discordante, Madonna doit utiliser l’ironie pour dire ce qu’elle pense « I love you american life » (Je t’aime vie américaine).

Avec cette chanson, au delà de la guerre, elle critique le mode de vie, le consumérisme et le matérialisme des Américains et tente d’éveiller leur sens critique « I just realized that nothing is what it seems » (Je viens de me rendre compte que la réalité ne correspond pas aux apparences). Le clip montre un défilé de mode devant une assistance à l’air futile et snob. Alors que s’enchaînent des images montrant atrocités de la guerre et explosions nucléaires, et que défilent des enfants (petit garçon vietnamien et fillettes musulmanes), Madonna arrive sur une sorte de char d’assaut stylisé et « bombarde » l’assistance avec un canon à eau.

Pendant que les uns se retrouvent emportés par le jet, les autres continuent à commenter le défilé. A la fin, Madonna envoie une grenade rattrapée par un sosie de George W Bush. La grenade s’avère être un briquet dont le président se sert pour allumer son cigare. Madonna montre ainsi que la guerre permet au Président de faire du business. Il fume son cigare comme après la signature d’un bon contrat.

Ainsi pour la presse Américaine, Madonna est anti-Bush, anti-guerre et donc antipatriote. Elle a dû mettre les choses au point dans un communiqué : « Je ne suis pas anti-Bush ni Pro-Iraq. Je suis pour la paix. J’ai écrit une chanson et créé une vidéo qui expriment mon sentiment sur la culture, les valeurs et les illusions que se font beaucoup de gens sur « l’American dream » ». Pour la première fois de sa carrière, Madonna recule et décide de retirer son clip. D’autres chansons de l’album, I’m so stupid et Hollywood, critiquent la superficialité, la quête de la célébrité et le matérialisme : Qui mieux que Madonna, star entre les stars, est mieux placée pour dénoncer cette vanité ?

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Des tournées mondiales pour tribune politique

L’engagement politique de Madonna dans ses chansons a commencé en 1986 avec « Papa don’t preach », extrait de son troisième album, True Blue. Dans cette chanson, Madonna se fait porte-parole de jeunes filles qui tombent enceintes. L’avortement n’y est pas prôné, au contraire. Le personnage de la chanson décide de ne pas avorter. Mais être libre de garder son bébé, c’est aussi être libre du contraire. Et lors de sa première tournée mondiale, le Who’s That Girl Tour (1987), des enchaînements d’images sont projetés sur le fond de la scène et sur un écran géant pendant que Madonna interprète cette chanson.

Derrière elle, on peut ainsi voir une cathédrale, le pape Jean-Paul II, la Maison-Blanche, Ronald Reagan, puis deux enfants se tenant par l’épaule et enfin ces mots écrits en caractères géants : « safe sex ». Tandis que sur l’écran sont projetées des images de guerre, de Martin Luther King, de cimetières militaires, des scènes de patriotisme, de pollution, de manifestations, d’arrestations de Noirs, des images de Kennedy et de Nixon, et d’autres dénonçant la société de consommation… Madonna affiche clairement ses idées, proches du parti démocrate américain.

Contre Nancy Reagan

Autant Madonna admire Hillary Clinton, qu’elle qualifie de visionnaire, et c’est avec Björk l’une des deux femmes qu’elle admire le plus, autant Nancy Reagan ne doit pas prendre grâce à ses yeux. En 1993, Madonna soutient le mouvement pro-avortement prenant indirectement et ironiquement la femme de l’ancien Président à partie. Celle-ci mène à l’époque une campagne contre la drogue intitulée « Just say no ». Ce slogan a inspiré une série de disques baptisés « Just say yes ». Madonna participe au septième volume de cette série, rebaptisé « Just say Roe », en référence à l’affaire Jane Roe versus Wade jugée par la Court Suprême en 1973. La décision prise par la plus haute institution juridique des Etats-Unis a légalisé le droit à l’avortement dans les 50 Etats fédéraux.

Au-delà de la défense du droit à l’avortement, ce mouvement lutte contre le sexisme et contre l’épidémie de Sida : « Je ne suis pas une bimbo, reine de beauté, danseuse exotique, nymphomane, implants siliconés, dominatrice, Amazone, supermodel, Barbie, pute, salope, victime, décoration, conquête, mais une femme. Une femme sur quatre sera violée au cours de sa vie. Le viol est l’ultime discrimination sexuelle ». Dans cet album, elle chante une chanson intitulée « Goodbye to innocence ».

La lutte contre le sexisme est l’un des grands chevaux de bataille de Madonna. « Pendant des siècles, les femmes ont été incroyablement opprimées, réprimées et l’on peut considérer que ce que je fais, c’est un combat, explique-t-elle lors de l’émission d’Anne Sinclair, 7 sur 7, sur TF1 en 1992. Encore que moi, je n’ai pas l’impression de me battre pour la liberté des femmes. Je me bats pour la liberté de l’humanité toute entière, parce que je crois que l’intolérance, toutes les sortes de phobies qui existent partout dans le monde ne sont pas seulement celles des hommes, ce sont aussi celles des femmes ».

Le sexisme n’est qu’une forme de xénophobie, c’est-à-dire d’aversion envers l’étranger, au sens large. Un thème abordé dans le clip de « Like a Prayer », en 1989, qui a suscité le scandale. Il mêle plusieurs thèmes « à risques » : le racisme dont sont victimes les Noirs, la justice à deux vitesses, l’érotisation d’icônes religieuses, les couples mixtes. C’en est trop pour un certain public bien-pensant. Pepsi renoncera à diffuser la publicité dans laquelle on entend cette chanson.

Madonna sur tous les fronts contre le Sida

La carrière de Madonna a débuté avec l’arrivée du Sida. Le sexisme s’avère en partie responsable de la croissance de cette épidémie, notamment dans les pays en voie de développement. Une femme soumise ne peut se protéger. En toute logique, Madonna s’est impliquée dans la lutte contre ce fléau. D’abord en écrivant une chanson, « In this life », et par des prises de position explicites. Ainsi dans The Girlie Show (1993), juste avant de chanter « In this life », elle déclare : « La chanson suivante, je l’ai écrite pour deux amis très chers morts du Sida [ndlr : Martin Burgoyne, un jeune danseur de 23 ans, et Christopher Flynn, qui fut le professeur de danse et le mentor de Madonna à la fin des années 70. Madonna perdra d’autres amis à cause du Sida, comme Keith Haring, Steve Rubel ou Haoui Montaug. Je suis sûre que chacun d’entre vous connaît ou connaîtra quelqu’un qui souffre du Sida, la plus grande tragédie du XXe siècle. Pour tous ceux d’entre vous qui comprennent ce dont je parle : n’abandonnez pas ».

Ou encore lors de l’émission 7 sur 7 : « Le Sida, c’est l’une des choses les plus tristes que j’ai connues dans mon existence. Il n’y a pas de remède. L’Amérique connaît une forte homophobie. Certains disent : « Voyez ce qui leur arrive. Le Sida, c’est à cause d’eux ». Je crois que le gouvernement Bush ne fait pas ce qu’il devrait. Il n’y a pas de financement fédéral pour la recherche contre le Sida ». Ce combat se matérialise aussi par des dons, par exemple à l’Association des Artistes Contre le Sida de Line Renaud en 1987.

À cette occasion, celle-ci a déclaré : « Madonna est un levier inestimable pour notre action en France. Quand elle chante, la jeunesse l’écoute et le message passe. Par sa seule présence, Madonna est bien plus précieuse que les 500 000 francs qu’elle va nous offrir ». Madonna a également participé à de nombreux concerts et compilations au profit de la lutte contre le Sida : Red Hot + Dance (où elle chante « Supernatural ») et A Very Special Christmas (où elle chante « Santa Baby »), deux disques illustrés par Keith Haring.

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Combat social

Mais le Sida n’est pas tout. Plus largement, c’est l’accès aux soins qui doit être facilité pour un certain nombre de personnes qui ne peuvent pas subvenir elles-mêmes à leurs dépenses de santé. Madonna est devenue une artiste fortunée, mais ce n’est pas le cas de tous ses petits camarades. Pour leur donner une couverture sociale, elle participe à une compilation intitulée Sweet Relief II, Gravity of the situation dans laquelle elle chante « Guilty by Association » en duo avec Joe Henry. Ce disque est vendu au profit du Sweet Relief Musicians Fund, qui aide les musiciens à payer leurs frais médicaux. Madonna expliquait à Anne Sinclair : « Je crois que l’injustice sociale, c’est le problème le plus important. Si les gens n’apprennent pas à vivre ensemble, quelle importance cela fait-il qu’il y ait des forêts ou qu’il n’y en ait pas ? Une fois qu’on s’intéresse aux autres, on s’intéresse à tout ».

Madonna risque la mise en arrestation

Si ce type d’action est assez peu connu du grand public, il en est autrement de son effort permanent pour faire évoluer les mœurs. La seconde tournée, « Blond Ambition World Tour » immortalisée grâce au film « Au lit avec Madonna » est encore plus explicite que sa tournée précédente. A tel point que la Madone a manqué une mise en arrestation au Canada. L’Etat de Toronto considère qu’elle va trop loin et envoie la police dans les loges du stade où elle doit se produire, pour tenter de limiter ses ardeurs scéniques. En Italie, le Vatican appel au Boycott de sa tournée. Elle y décrit un mode de vie donnant toute sa place au plaisir charnel. Voir une femme simuler masturbation et orgasme devant des hommes-objets, c’en est trop pour les puritains qui préfèrent voir la gente féminine aux fourneaux.

Mais pour Madonna, le plus dur reste à venir. Le livre Sex (1992) fait s’abattre sur elle des avalanches de critiques. Quelques jours avant la sortie française de son livre, Madonna tente d’expliquer sa démarche à Anne Sinclair : « Tout d’abord, je me considère comme une artiste, alors si vous me demandez pourquoi je fais ce que je fais, et bien je vous dirais de poser la même question à n’importe quel artiste. Le problème c’est que beaucoup de gens se sentent menacés par le sujet même de mon art. Alors, ils considèrent que ce n’en est pas, mais moi je n’ai pas ce problème, ce n’est pas une question de provocation en ce qui me concerne. Je ne cherche pas à choquer les gens, ni à les mettre en colère. C’est la façon dont je veux m’exprimer. L’érotisme, la sexualité, c’est quelque chose de très important pour moi – et pour d’autres aussi je pense ! – Surtout en Amérique, nous vivons dans une société très puritaine. Il s’agit là de questions taboues, mais elles sont très importantes pour moi. Ce n’est pas de la provocation. Je m’exprime comme artiste et voilà comment je vois les choses ».

Plus tard, elle expliquera que le plus intéressant dans sa démarche, n’était pas livre lui-même, mais les réactions qu’il a provoquées. Parler de sexualité, c’est aussi faire de la politique. Le Girlie Show, sa troisième tournée, la montre sous un jour plus radical encore. Perruquée et lookée disco, vêtue de cuir, masquée et cravache en main, ou encore en habit militaire. Le show est un hymne à l’expression de tous les fantasmes sexuels, mais pas seulement. Jouer sur l’ambiguïté des rôles, l’inversion des genres, le désordre amoureux, c’est amener à réfléchir à la place des uns par rapport aux autres.

A cet égard, la rencontre et la collaboration avec Jean-Paul Gaultier sont pleines de symboles : « Jean-Paul Gaultier et moi avons une bonne collaboration. Il a le sens de la tradition, du classique mais également de la provocation. Il pousse un peu les choses. C’est la raison pour laquelle on s’entend bien. C’est quelqu’un qui aime faire des vêtements qui provoquent un débat, une discussion sur la politique, sur les préférences sexuelles, sur la liberté… et moi aussi ! ». Aux Etats-Unis, où les conservateurs chrétiens sont si puissants, Madonna a considérablement fait évoluer la place des femmes dans la société et contribué à libérer les mœurs.

A travers toutes ces expressions artistiques et tous ces engagements, Madonna ne fait que décliner la même profession de foi : liberté et respect de la différence. Ces thèmes sont récurrents dans son œuvre. A chacun d’être soi-même, dans le respect de l’autre. « Je trouve très flatteur d’avoir une influence, c’est une chose que je souhaite. Je pense avoir beaucoup à dire et je suis heureuse qu’on m’écoute, je veux encourager les gens à être eux-mêmes ».

L’album de Madonna Music : le retour du féminisme

Dans Erotica et Bedtime Stories, Madonna continue de prêcher sa bonne parole et à assumer son mode d’expression (le fameux « sans regret ! » de Human Nature en réponse aux critiques adressées à Sex). Après un Ray of Light plus personnel, l’album Music sorti en 2001 et la tournée du Drowned World Tour retrouvent des accents de combat politique. La vidéo de « Music » est hautement féministe. Madonna s’affiche en superstar, entourée de femmes, se rendant dans un club réservé aux femmes. Elle casse la gueule à des voyous dans une impasse et se moque de son chauffeur macho.

Plus radicale et explicite encore, la chanson « What it feels like for a girl », introduite par la voix de Charlotte Gainsbourg, dans un extrait du film The Cement Garden, d’Andrew Birkin : « Les filles peuvent porter un jeans, couper leurs cheveux courts, porter des chemises et des bottes, parce que c’est bien d’être un homme. Mais pour un garçon, ressembler à une fille est avilissant, parce que vous pensez qu’être une fille est avilissant. Mais secrètement, vous aimeriez savoir ce que ça fait, n’est ce pas ? Ce que ça fait d’être une fille… ». Lors du concert cette chanson est illustrée par la projection d’extraits de manga comprenant des scènes de viol. Elle dénonce ainsi la banalisation de leur sexisme ultraviolent.

En 2004, allant au bout de ses idées, elle s’engage pour la première fois dans la campagne présidentielle en soutenant officiellement un candidat, le démocrate Wesley Clark, qui s’est plus tard retiré de la course, « Le plus grand risque n’est pas le terrorisme, l’Irak ou «l’axe du mal», c’est le manque d’honnêteté et (…) de conscience. Notre gouvernement n’a pas de vision globale », écrit-elle dans un communiqué expliquant cet engagement.

Antoine Bienvenu

J’enchaîne avec un autre article consacré à ses concerts :

Madonna révolutionne le show

Les tournées de Madonna ne sont pas de simples concerts. Ce sont des performances scéniques qui font références aux cultures les plus diverses appuyées par des décors et costumes très élaborés.

Ambiance nébuleuse façon Brasil ou Blade Runner, décors déshumanisés de temps apocalyptiques, telle est la scène d’ouverture du Drowned World Tour, tournée de Madonna en 2001. Ce décor laissera place à des décors japonais, country, ibérique,… Les performances scéniques de Madonna sont des spectacles à part dans le show business, où chorégraphies, costumes (signés Jean-Paul Gaultier), décors et mise en scène prennent autant d’importance que la musique et le chant. Ce tournant a été pris avec le Blond Ambition World Tour en 1990.

Plus tard, presque toutes les grandes stars ont suivi son exemple. Pour les décors, les costumes, l’orchestration et les chorégraphies, Madonna puise à tout va et s’inspire de références religieuses, cinématographiques, ou encore de cabaret, de chorégraphie thaïe, de graphisme nippon ou de musique indienne, par exemple. Si aucune tournée de Madonna ne ressemble à une autre, certains thèmes sont récurrents. Par exemple, des scènes de bagarre d’où Madonna sort vainqueur et fait alors comprendre à tous que le boss, c’est elle (Causing a commotion lors du Blond Ambition World Tour ou Sky fits Heaven lors du Drowned World Tour). Références artistiques et hommages, humour et autodérision, mais surtout, religion – spiritualité et sexualité sont omniprésents. En revanche, alors qu’elle s’adresse beaucoup au public dans les premiers temps, elle devient plus distante avec le Drowned World Tour.

Soumettre ou féminiser les hommes

Le Blond Ambition World Tour s’ouvre sur Express yourself. Le décor semblable à celui du clip est directement inspiré du film Metropolis de Fritz Lang avec en fond un environnement industriel, d’énormes engrenages. Les danseurs de Madonna, sur cette tournée sont uniquement des hommes, ceux du clip de Vogue, blanc, noir, métis, asiatique… très musclés, au physique de top modèles, marchant comme des esclaves tête baissée et échine courbée, les mains comme liées derrière le dos. Portant un monocle, Madonna apparaît alors sur un socle qui s’élève, toute puissante dans un costume noir ouvert verticalement au niveau de la poitrine pour laisser sortir les cônes de son bustier rose. Les cordons de son porte-jarretelles sortent aussi.

La chorégraphie de Madonna est semblable à celle du clip de Express Yourself. « Nous cherchions une ponctuation pour les trois dernières mesures, explique Vincent Paterson, chorégraphe (Le Monde 24/04/03). J’avais dit « Grab your crotch » en guise de plaisanterie. Ce geste avait déjà provoqué des remous quand Michaël Jackson l’avait créé, mais repris par Madonna, une fille, ce fut le scandale ». Madonna n’a pas pris sa proposition pour une plaisanterie. Chorégraphe de la tournée, Vincent Paterson a inventé 21 danses en 24 jours. Ainsi, tout au long du concert les hommes sont soumis ou féminisés. Par exemple, pour la seconde chanson Open your heart, elle danse avec un jeune danseur noir peroxydé vêtu d’un pull moulant à paillettes. Seul hétéro de la troupe, moins musclé que les autres danseurs, plus fragile, le film Au lit avec Madonna montre qu’il leur servait de tête de turc.

Les chorégraphies de Madonna dérangent les sociétés conservatrices

Pour Like a virgin, le passage de cette tournée qui a fait scandale, elle est allongée dans un lit pourpre et surveillée par deux danseurs tenant le rôle d’eunuques et portant des soutiens-gorge coniques. Sur Now I’m following you, les danseurs sont nus sous leurs imperméables et dansent comme des danseuses de revue ou de cabarets parisiens, le french cancan ou deux par deux, ils montrent leurs jambes… Sur Cherish, elle est sur scène avec trois danseurs à ses pieds, habillés en sirènes. La scène est très tendre, ils se font des bisous, se frottent nez contre nez. Lors du Girlie Show, sa tournée de 1993 pendant Fever, alors qu’elle porte bottes et cravache, les deux danseurs qui l’accompagnent portent un mini slip dont la coupe féminine laisse apparaître le bas de leurs fesses.

Madonna féminise les hommes et n’hésite pas de son coté à s’habiller en mec. C’est particulièrement vrai lors du Girlie Show. A 3 trois reprises, elle est habillée en homme. Pour Justify my love, où elle porte un chapeau haut de forme, de couleur grise, ainsi qu’un cache œil de pirate. Sur Holiday, elle porte un uniforme de l’armée américaine et dirige ses danseurs avec autorité. Sur Like a Virgin où elle est vêtue comme Marlène Dietrich dans l’Ange Bleu avec un smoking, une canne et un chapeau haut de forme. Elle garde ce smoking pour Bye bye baby. A la fin de la chanson, elle se moque des hommes avec ses deux choristes, elles aussi habillées en homme. Elles parodient les mecs machos se touchant les couilles « We don’t cry for Dames, right ? We fuck women, yeah »…. Puis dans un éclair de lucidité humoristique : « We do ? ».

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Madonna joue les comiques

Le show est rempli d’humour et d’auto-dérision, par exemple, lors du concert australien qui a été filmé pour le DVD, elle s’agenouille et demande à ses 4 danseurs hommes de se faire de même : « Je sais que vous n’avez pas l’habitude de vous retrouver dans cette position (on la sent ironique). J’aimerais remercier Dieu pour qu’il ne pleuve pas pendant mon show et je sais que s’il ne pleut pas, c’est parce que je n’ai rien volé dans ma chambre d’hôtel la semaine dernière. J’ai pris un truc et je l’ai remis parce que je ne voulais pas de mauvais Karma. Alors les gars, arrêtez de piquer des trucs dans les hôtels ».

Puis s’adressant au public, « Vous avez peut-être remarqué les caméras tout autour. Je sais qu’elles peuvent être gênantes. Merci de faire avec. Mais si elles vous ennuient, vous pouvez imaginer ce qu’elles me font. A chaque fois que je ruisselle de sueur et que de la morve sort de mon nez, elles zooment pour faire un gros plan… et j’aime ça. C’est une sorte de métaphore de la vie vous ne trouvez pas ? Quand la morve sort du nez, il zooment toujours en gros plan. C’est une jolie métaphore. La misère aime la compagnie. Mais je ne suis pas amère car la vie est trop courte pour être amère et je suis trop courte (petite) pour être amère. Ok, je l’admets. Pas la peine de la ramener ».

L’un des moments les plus drôles de son concert empli d’humour est la fin de Holiday où Madonna joue l’idiote, marche à 4 pattes tandis que ses choristes tentent de l’attraper. Autre moment d’auto-dérision, lors du Blond Ambition World Tour cette fois, quand elle chante Material girl. Une chanson qui ne lui ressemble pas et qu’elle déteste. Pour marquer le coup, elle chante avec une voix nasillarde et porte bigoudis, charlotte sur la tête et robe de chambre. La scène se passe dans un salon de coiffure. Elle parodie sa propre chanson qui décrit un mode de vie à l’opposé de sa personnalité.

Sexe ludique

L’humour peut aussi servir à parler de sexualité, comme dans le Blond Ambition World Tour période Dick Tracy. Lorsque le détective arrive, elle le présente en disant : « C’est ma bite. J’aime quand il est dur ». Le sexe est le thème principal de cette tournée. Elle va jusqu’à simuler masturbation et orgasme pendant Like a virgin. Interdit aux moins de 15 ans, le Girlie Show en 1993 apporte une nouveauté de taille : Madonna ne s’entoure plus uniquement de danseurs, cette fois sa troupe compte aussi des danseuses. L’une d’entre elles, Carrie Ann Inaba, presque nue (seins nus, elle ne porte qu’un string à paillettes) ouvre le concert dans un numéro acrobatique digne des meilleurs cirques.

Puis Madonna apparaît cravache en main, blonde, cheveux courts, portant un masque SM semblable à celui de Zorro, de longs gants, un mini-gilet et des bottes noires. Elle chante Erotica tandis que des hommes s’affrontent dans un combat de boxe. La chorégraphie vire à la simulation de partouze à la fin de Deeper and deeper. Madonna est d’abord prise en sandwich entre deux danseurs, l’un deux lui embrasse goulûment le ventre et la poitrine, puis entre une danseuse et Carrie Ann Inaba, seins nus.

Les autres danseurs s’en donnent à cœur joie entre hommes, entre femmes et dans des plans à 3 ou plus. L’homosexualité fait partie des sexualités présentes lors des concerts de Madonna. Par exemple, lors du Drowned World Tour, elle chante What it feels like for a girl dans sa version espagnole Lo que siente la mujer. Particularité : sur scène il n’y a que des femmes. Vêtues de débardeurs, elles ont le look des lesbiennes qui font tout pour ne pas plaire aux hommes. Madonna porte une robe pantalon. Devant, c’est une robe, de dos, un pantalon.

Les amants guerriers

L’homosexualité masculine est surtout dépeinte dans une chorégraphie du Girlie show, celle de The Beast Within. Sur la musique de Justify my love avec une orchestration orientale, elle lit un long texte. Il s’agit d’un enregistrement. Elle est absente de la scène. La jaquette du DVD indique “textes additionnels de Madonna”. De fait, ce sont des extraits de la Bible, certains chapitres de la Révélation (chapitre 1 versets 3 et 7, chapitre 2 versets 1 à 4 et 9 à 10, chapitre 13 versets 1 à 10, chapitre 21 versets 1 à 8 et chapitre 22 versets 10 à 13). Deux danseurs exécutent une chorégraphie des plus homoérotiques. Habillés de treillis militaires et rangers, les deux amants, un noir et un blanc, s’étreignent, s’embrassent puis partent au combat ensemble tel Achille et Patrocle lorsque arrivent les autres danseurs de la troupe.

L’un des deux pris dans un filet, décède. Fou de rage son amant met alors tous les assaillants hors d’état, puis porte son bien-aimé reprenant la pose de la Pieta de Michel-Ange. Et le miracle se produit. Il reprend vie. Le combat peut reprendre. Si Madonna n’est pas religieuse, comme elle le dit dans sa chanson Nothing fails, les religions sont très présentes dans son œuvre. Ainsi, lors du Blond Ambition World Tour, pour Like a prayer, Live to tell, Oh Father et Papa don’t preach, le décor est celui d’une église avec colonnes antiques, prie dieu, cierges, vitraux. Elle porte une aube noire avec crucifix. Pour Live to tell, elle se signe puis chante seule et reproduit la scène de l’église dans le Faust de Gounod. Pour Oh Father : elle est rejointe par l’un des danseurs qui balance un encensoir.

Puis, pour Papa don’t preach, ses danseurs vêtus d’aubes noires dansent le voguing. Ils l’accusent, la montre du doigt, mais elle ne se laisse pas faire et les fait tomber comme des quilles un par un. Au delà de la religion, l’œuvre de Madonna est centrée sur la quête de la spiritualité. Celle-ci est résumée par les images projetées lorsqu’elle chante Secret pendant le Drowned World Tour. On y voit toute la diversité spirituelle et culturelle du monde, des images du Maghreb, d’Afrique sub-saharienne, d’Asie, du Tibet, d’indiens d’Amérique, de femmes se baignant dans les eaux du Gange, de juifs priant contre le Mur des lamentations, des images de Christianisme aussi. Les shows de Madonna s’inspirent de toutes les cultures du Monde. Notamment pour l’orchestration et la chorégraphie.

Inde, Thaïlande, Japon, Séville…

Celle de Like a virgin est inspirée par la musique indienne dans le Blond Ambition World Tour, tandis que l’orchestration rend hommage à Marlène Dietrich dans le Girlie Show. Vogue est orchestré et chorégraphié à la thaïlandaise et La Isla Bonita façon Samba dans le Girlie Show et à la manière gitane dans le Drowned World Tour. Holiday dans ce concert contient un sample de Stardust « Music Sounds Better With You » et Music de Kraftwerk « Autobahn », deux références à la techno. Hommage au disco et à sa culture avec Express yourself dans le Girlie show. Madonna descend sur scène assise sur un énorme disco ball. Elle porte une touffe énorme, une perruque blonde frisée.

Référence au Chicago des années 50 avec Sooner or later. Un rideau de satin blanc tombe sur la scène. La voilà chanteuse de cabaret. Robe-manteau noire queue de pie ouvert jusqu’au nombril. Elle chante allongée sur un piano noir. Quant au Japon, il est à l’honneur dans le Drowned World Tour pendant près du tiers de la durée du concert (mangas, arts martiaux, graphisme, costumes,…). Par ailleurs, les concerts font référence à des œuvres ou des artistes que Madonna apprécie tout particulièrement : Fritz Lang, Marlène Dietrich, nous l’avons déjà dit, mais aussi, la peintre Tamara Lempicka.

Le nom de sa tournée The Girlie show a été inspiré par un tableau de Edward Hopper. Cette tournée fait des clins d’œil à des films de Fellini, Bob Fosse et Marcel Carné. Le Drowned World Tour s’ouvre sur une scène apocalyptique qui évoque Brasil ou Blade Runner. Coiffés comme des punks, ses danseurs et musiciens prennent un air dur et arrogant. L’un d’eux décapsule une canette, boit et recrache violemment. Une image ultra-virile. Madonna a tout compris des hommes ! Blonde, cheveux mi-longs, vêtue d’un kilt comme son écossais de mari, avec un pantalon en dessous. Elle chante les jambes écartées.

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Des shows trop bien calibrés

Ensuite pour Impressive Instant, la scène nous plonge dans un monde inhumain, portant des masques à gaz avec lampes électriques de chaque coté, les danseurs luttent pour leur survie et se débattent avec d’énormes tuyaux. Madonna saisit sa guitare électrique et chante Candy Perfume Girl qui prend des accents bien ironiques vu l’orchestration métallique. Elle est accompagnée d’une danseuse contorsionniste punk. De loin elles se regardent, mettent leur index dans la bouche et le retire en suçant. A la fin, elle frotte énergiquement les cordes de sa guitare et crie « Fuck off mother fucker ».

Huit ans se sont écoulés entre le Girlie Show et le Drowned World Tour. Entre temps, la vie de Madonna a beaucoup changé. Elle est devenue mère de famille. Les petits minets musclés ont laissé place à des danseurs plus butches. Cette tournée marque un nouveau tournant : le sexe y est un peu moins présent, même si la scène de partouze est toujours là (à la fin de Human nature), mais surtout Madonna joue de la guitare, sèche ou électrique. Les concerts de Madonna sont réglés comme du papier à musique. Aucun dérapage ne semble possible.

Pour surprendre son public, pendant le Girlie show, elle simule un incident. Un homme saute sur la scène et arrache ses vêtements. Elle appelle la sécurité tandis que l’exhibitionniste finit de se déshabiller. Sous son pantalon se cachait le même short à paillettes que celui que porte ses danseurs… Le seul reproche que l’on peut lui faire, c’est de laisser peu de place à la spontanéité et à l’improvisation. Ses discours improvisés, qui la rendent plus humaine, comme celui sur sa morve qui coule, sont trop rares.

Madonna en showcase NRJ : « La religion c’est le jugement, la souffrance, le conformisme »

Les grandes tournées ne permettent pas à Madonna de dialoguer avec son public. En revanche, les petits concerts qu’elle donne parfois sont l’occasion d’échanges. Ainsi, une discussion s’est engagée sur la religion lors du concert NRJ. Madonna : « Cette chanson devait être une chanson d’amour. Mais Jésus, le sujet Jésus, s’est « faufilé ». Je me suis rendu compte que mon problème avec les hommes et le même que celui que j’ai avec Jésus. Si vous donnez à Jésus / aux hommes plus de pouvoir que ce qu’ils méritent, vous vous faites baiser ! » Quelqu’un du public dit quelque chose.

Elle répond : « De quoi parlez-vous ? C’est mon opinion ! Pas celle de mon groupe. S’ils veulent s’exprimer ils n’ont qu’à le faire dans leurs propres putains de disques ! Oh oui je les aime. J’aime les hommes, je dis juste qu’on leur donne trop de pouvoir quand on les voit plus importants qu’ils ne sont, quand vous les idéalisez. Pfff ». Elle pouffe de rire.

Quelqu’un dans le public crie : « Religion is love ». Exaspérée, elle répond : « La religion, c’est l’amour ? Non ! L’amour n’a rien à voir avec la religion. La religion est une idée que quelqu’un vous impose. La religion, c’est le jugement, la religion, c’est la souffrance. La religion, c’est le conformisme, l’establishment. L’amour n’a rien à voir avec la religion. L’amour ne divise pas ». Elle est en très colère. « Ok ?… On enchaîne ! ».

Antoine Bienvenu